Logique de la défense et de la promotion des droits des homosexuels

La problématique de l’homosexualité déchaîne actuellement les passions tant en Afrique en général qu’en Côte d’Ivoire particulièrement. La presse ivoirienne, qui très souvent reflète les opinions publiques du pays, abonde d’écrits d’une homophobie acérée, mixture d’ignorance et d’intolérance, que savent rendre attrayantes des Unes forts cocasses. Dans cette grisaille, contre toute attente et à contre-courant, a pourtant surgi une éclaircie. Elle est venue de Fraternité Matin, précisément de l’une de ses plumes les plus raffinées : Oumou D. En sa matinale du 12 mars dernier, cette dernière a en effet une démarche de nature à dé-diaboliser la question de sorte à rendre la réflexion possible. Elargir la piste ouverte par la brillante chroniqueuse (Ô la Bienheureuse !) de notre quotidien national, pour en faire une voie plus large dans laquelle pourraient s’engager les esprits non figés par les préjugés, c’est à quoi cette tribune veut contribuer.
Recadrons la question de fond : pourquoi certains exigent la reconnaissance des droits des homosexuels en Afrique ? Nombre d’Africains voient en cette exigence un acharnement. Mister President of United State of America himself s’en étant mêlé, et la Banque mondiale ayant récemment pris des mesures de rétorsion contre l’Ouganda pour ses lois réprimant durement l’homosexualité. L’actualité la plus récente nous apprend même que la question de l’homosexualité a été le point d’achoppement au Parlement européen de Strasbourg lors des dernières discussions UE/ACP à telle enseigne qu’il y eut menaces de rupture des accords de Cotonou.
En réaction, des vagues d’indignation se font entendre partout sur le continent noir. La rengaine commune parle de l’homosexualité comme d’une manie occidentale qu’on veut coûte que coûte imposer au reste du monde. Manifestement, on n’a pas encore compris que ce qui se joue dans ce débat, ce n’est pas tant une orientation ou une déviation sexuelle (c’est selon) que les droits humains. Oui, les droits humains, c’est bien de cela qu’il s’agit dans cette défense des droits des homosexuels.
Le fait est que ces droits sont imprescriptibles. Autrement dit, rien, absolument rien ne peut les annihiler. Ce qui veut dire que tout homme a ces droits-là en cela même qu’il est. Or, la manière dont les homosexuels sont traités dans la plupart des pays africains, on constate que deux fondamentaux des droits humains sont copieusement bafoués : le principe d’égalité et son pendant, le principe de non-discrimination, proclamés abondamment par la Charte des droits de l’homme à laquelle les Etats africains adhèrent. Il y a aussi le droit des minorités (sans même parler de celui des minorités sexuelles), contenu dans les instruments de protection des droits humains, qui est foulé aux pieds.
Tout ceci pour dire qu’il faut cesser de voir en la défense des droits des homosexuels de la promotion de l’homosexualité, « une manie contraire à la culture africaine » – ainsi qu’aime à s’exprimer les esprits les plus réfractaires. Comme cette façon de voir rappellent les temps où il était question de l’instauration de la démocratie, et donc aussi nécessairement des multipartismes, en Afrique ! Cela a aussi souvent été le cas pour tout ce qui est relatif aux droits humains en général. C’est ainsi que pour masquer despotisme, tyrannie et dictatures de tous ordres, il était commode de faire miroiter une improbable démocratie à l’africaine sans jamais promouvoir les libertés. De la même manière, pour justifier la brutalité avec laquelle on ne sait qu’exercer le pouvoir d’Etat, on se plaisait à parler d’une soi-disant nécessité d’adaptation des droits humains à la culture africaine. Aujourd’hui, plus personne ne prendrait au sérieux cette rhétorique démagogique, puisqu’on aura compris entre-temps que la démocratie consiste à fonder des institutions pour l’exercice des libertés, et que les droits humains sont aussi universels que l’essence humaine elle-même. Raison pour laquelle tous les êtres humains ont les mêmes droits fondamentaux ; et ce, quelle que soit la diversité de sexualité qu’ils puissent avoir.
En cela, la position de l’Eglise catholique vis-à-vis de l’homosexualité est trop précieuse pour ne pas être évoquée ici. Elle aborde ce sujet dans son Catéchisme [1], cet ouvrage issu du Synode des Evêques de 1985 et approuvé par le Pape Jean-Paul II. Si l’homosexualité y est explicitement présentée comme « dépravation grave », il y est pourtant recommandé tout aussi clairement d’accueillir les homosexuels avec « respect, compassion et délicatesse ». « On évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste », est en définitive déclaré dans cet ouvrage résumant la foi, l’enseignement et la morale de l’Eglise catholique. Par là on doit comprendre que si l’homosexualité est une déviation, elle n’est pas assez radicale pour faire sortir un homme de la communauté des hommes ; que si dépravation il y a, elle ne peut pas être absolue au point de détacher un être humain de l’humanité. C’est sur cette base-là qu’ailleurs on s’applique à promouvoir les droits des homosexuels ; des droits qui, il faut le préciser, ne sont pas spécifiques à ces derniers, mais les mêmes qui sont inhérents à tous les hommes. Et c’est sur cette même base-là qu’il doit en être ainsi-ici-aussi.
Jean Marc Yao
Consultant en droits humains
facebook.com/jeanmarc.yao.18
[1] Le Catéchisme de l’Eglise catholique est un ouvrage d’instruction à la doctrine chrétienne Catholique. Promulgué le 11 octobre 1992, sa rédaction a été suggérée par l’Assemblée générale extraordinaire du Synode des Evêques de 1985, soit 20 ans après la fin du Concile Vatican II. Il a été publié solennellement le 7 décembre 1992.
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